samedi 30 janvier 2010

Pikmin : à la conquête d'un nouveau jardin



A bord de son vaisseau spatial, le capitaine Olimar s'écrase sur une étrange planète. Il est sain et sauf, mais n'a de l'oxygène que pour trente jours, alors que les pièces de son vaisseau sont éparpillées dans le monde entier. Le joueur prend le contrôle du petit astropilote pour les retrouver... Il devra pour cela explorer des environnements bucoliques, maîtriser l'écosystème et le terrain en s'appuyant sur les étranges petites créatures venues à son secours (et soumises à ses ordres), étranges fleurs animales, fécondes et combatives — les différents Pikmin.

Pikmin est l'une des œuvres les moins connues du concepteur de jeu Shigeru Miyamoto, créateur pour Nintendo de Mario, Zelda, Donkey Kong et bien d'autres. C'est une franchise jeune, apparue en 2001 sur une console plutôt confidentielle, la GameCube (et rééditée sur Wii en 2009).
Ce lointain cousin des jeux de conquête stratégique et tactique n'a peut-être pas choisi le genre le plus vendeur... D'autant qu'en réalité, le jeu est original et novateur : il crée son propre style, dont s'inspireront notamment Overlord (2007, Triumph Studios, sur 360, PS3 et PC) ou Little King's Story (2009, Cing, sur Wii). Un mélange d'exploration, de gestion et de combat.
Il y a de vraies phases d'action, où le capitaine et ses Pikmin doivent se placer par rapport à l'ennemi, éviter ses attaques et viser ses points faibles.
Mais c'est l'exploration qui est centrale : il s'agit de conquérir le terrain pied à pied, de découvrir ou de bâtir les chemins vers des pièces lointaines. La clef : mémoriser, pour la dompter, la topographie — un vrai plaisir vu le soin apporté à la conception des niveaux, la qualité du level-design : il faut toujours utiliser une astuce pour atteindre les pièces, judicieusement placées.
Pikmin, c'est aussi de la gestion : gestion des troupes, de la répartition entre Pikmin rouges, jaunes ou bleus — chacun a sa spécialité — selon le raid planifié ; et gestion du temps surtout. Les journées passent toujours trop vite, le joueur doit judicieusement décomposer les tâches, lancer telle construction de pont ici, puis courir là pour abattre un mur, vaincre une coccinelle géante ; en prévoyant bien sûr le temps de ramener les trouvailles à la base... Une fois le jeu fini, ses subtilités maîtrisées, il est tentant de le recommencer d'emblée pour parfaire son agenda, collecter les trente pièces toujours plus vite. Le recordman actuel boucle le jeu en moins de neuf jours, deux heures du monde réel !


Pikmin surprend par sa complexité et finalement convainc par sa profondeur. D'un aspect naïf, simple mais réussi et intemporel, le jeu de Nintendo demande d'emblée de maîtriser des commandes assez nombreuses. Surtout, fidèle au scénario, il lâche le joueur sans grandes indications : il y a donc beaucoup d'éléments à assimiler au départ, pour connaître la planète et deviner les objectifs et le moyen d'y parvenir. Ainsi, la pratique seule permet de découvrir et de maîtriser toutes les possibilités des trois espèces de Pikmin, que ce soit sur le terrain ou surtout en combat. Le tout sous la contrainte du temps, stressante mais finalement centrale et loin d'être impitoyable.
Une fois la planète et ses habitants bien connus, le jeu procure un plaisir immense. C'est mignon, charmant, reposant, magique et amusant comme un jeu Nintendo, et terriblement prenant. Et novateur : Shigeru Miyamoto a créé un nouveau genre de jeu, encore à l'état d'ébauche dans ce premier Pikmin, mais déjà convaincant. Un «petit» classique, sans aucun doute.

Pikmin (GameCube, 2001, adapté sur Wii en 2009 dans la collection «Nouvelle façon de jouer»), un jeu tactique d'exploration et d'action développé et édité par Nintendo (Japon).

*** Plus d'infos :
  • La critique de Vincent Montagnana sur Chronic'art.
  • Le test de la version originelle par Trunks sur Gamekult (et des précisions sur le portage sur Wii).
  • Un deuxième volet a été publié sur GameCube en 2004 (et adapté sur Wii en 2009). Les critiques, dont beaucoup avaient déploré la limite de temps du premier, sont une majorité à le considérer supérieur.

vendredi 29 janvier 2010

Requiem des innocents : littérature en lutte contre la misère


L'écrivain Louis Calaferte
(photo Guy Delorme, copyright Bibliothèque municipale de Lyon)

Louis Calaferte est un écrivain au parcours singulier : né à Turin (Italie) en 1928, l'«anarchiste chrétien», ainsi qu'il se baptisera, a grandi dans la banlieue lyonnaise, dans la misère d'un ghetto crasseux. Certificat d'études en poche, il travaille à l'usine dès 13 ans — mais lit, aussitôt quittée l'école, tout, tout le temps, jusque dans les toilettes de l'usine : «Lisez attentivement et sans relâche, intime-t-il dans Septentrion. Le Littré, les articles de dernière heure, les insertions nécrologiques, le bulletin des menstrues de Queen Lisbeth, lisez, lisez tout ce qui passe à votre portée. A moins que, comme ce fut souvent mon cas, vous n'ayez même pas de quoi vous acheter le journal du matin. Alors descendez dans le métro, asseyez-vous au chaud sur le banc poisseux — et lisez ! Lisez les avis, les affiches, lisez les pancartes émaillées ou les papiers froissés dans la corbeille, lisez par-dessus l'épaule du voisin, mais lisez !»
Ce leitmotiv lui réussit : l'adolescent monte à Paris en 1947, se fait figurant de théâtre, écrit — sa première pièce est représentée pour ses vingt ans — et devient écrivain.

Publié en 1952 grâce à l'aide de Joseph Kessel, Requiem des innocents est son premier livre, qu'il conspuera plus âgé. Louis Calaferte y raconte des souvenirs d'enfance, quand il avait dix ou douze ans et vivait dans la «zone», «le quartier le plus écorché de la ville de Lyon». Un «ghetto» peuplé d'une humanité bestiale, une cour des miracles avec ses gueules incongrues, où sont enfermés criminels et miséreux survivant de combines.
Le quartier vit au rythme des razzias en ville. La sexualité y est sordide. Les plus faibles d'une bande de copains — Debrer le bossu, Victor Albadi alias Roméo Toro, épileptique à «la cervelle aussi folle que sa jambe» — sont régulièrement battus jusqu'au sang, jusqu'à l'évanouissement. D'ailleurs les hommes battent leur femme, les parents frappent leurs gosses, les directeurs d'école bastonnent les cancres, et les flics, les voyous. «On se bat beaucoup chez les pauvres. Il faut bien passer sur quelqu'un sa fureur, sa rage d'être au monde et d'y rester.» La violence et la morbidité de cette vie-là est difficilement soutenable pour qui a grandi dans un milieu favorisé.
Le narrateur comme ses camarades : de la racaille, condamnée par son acculturation. «Nous savons même pas parler, dit l'ami Schborn, chef de leur bande. Pas savoir parler, c'est la fin de tout. Il y avait trop d'étrangers chez nous. On saura jamais tout à fait la langue.»
L'instinct de lutte des classes naît tout naturellement. «Pour nous, les gens de la ville étaient des ennemis, tous sans distinction.» La ville, territoire de «ceux qui bouffaient à plus faim, tous les jours, qui s'habillaient à plus froid». Un ailleurs haï et désiré, inaccessible pour la plupart.
Et pourtant. Pourtant certains s'en sortiront. L'auteur, «premier bâtard de [son] quartier qui allait quitter l'école avec autre chose que des poux et le vice de la masturbation collective : mémoire d'homme.» Sa planche de salut : un maître d'école hors du commun, lecteur et buveur invétéré toujours flanqué de «sa putain Dorothée», manchot portant monocle et riant de se battre aussi durement que ses protégés... «Tu voulais renverser cette barrière qui nous empêchait de comprendre les autres», le remercie l'ancien élève, son ami.

Puis la littérature poursuivra l'œuvre salvatrice. Des lectures, l'écriture. Requiem des innocents. Un livre parfois maladroit et redondant, collage d'anecdotes à la construction bancale, mais un récit édifiant, incontournable, avec ses fulgurances. L'immense styliste qu'est Calaferte est encore en gestation : l'écriture ne charrie que les braises de la langue de feu portée à sa plus haute incandescence dans Septentrion. Mais la force du récit suffit à atteindre aux tripes.
Car l'œuvre est un témoignage inestimable de la vie de misère dans les ghettos modernes. Un récit toujours brûlant d'actualité, et à la portée universelle : comme le soutient Louis Calaferte, «pour toucher, pour voler un peu de vérité humaine, il faut approcher la rue. L'homme se fait par l'homme. Il faut plonger dans les hommes de la peine, dans la peine, dans la boue fétide de leur condition pour émerger ensuite bien vivant, bien lourd de détresse, de dégoût, de misère et de joie.»

Requiem des innocents (1952, Gallimard), de Louis Calaferte (1928-1994). Disponible en poche dans la collection Folio (224 pages, 6,10 euros).

*** Plus d'infos :
  • «Louis Calaferte sauvé par Régis Jauffret», un entretien en forme de critique du Requiem des innocents, réalisé par Baptiste Liger pour le magazine Lire en 1995 (sur le site de L'Express).
  • Une biographie de Louis Calaferte sur le site des éditions Hesse (en bas de page).
  • La notice dédiée à l'écrivain sur Wikipédia.

mercredi 27 janvier 2010

Le cœur prisonnier d'un Nœud de vipères

«Voilà l'homme, voilà un homme entre les hommes, me voilà. Vous pouvez me vomir, je n'en existe pas moins.» L'homme qui se sait abject, c'est Louis, vieil avocat anticlérical du barreau bordelais, «monstre de solitude et d'indifférence» rongé par l'avarice. Au crépuscule de son existence, il s'attelle à une longue lettre à son épouse, entendant «[l']obliger à [le] voir jusqu'au fond», elle qu'il n'aime pas, ne connaît pas.
Ce patriarche lance l'anathème contre une famille haïe, dont il ne voit que les manœuvres intéressées ; il déclame sa haine, l'aigreur de cet «homme qui vivait seul en face de votre groupe serré» : «toi [sa femme], ton fils, ta fille, ton gendre, tes petits-enfants», unis par la cupidité. Mais l'anathème devient confession et cheminement vers une rédemption tardive.

Cette longue lettre, c'est Le Nœud de vipères, de François Mauriac. Un chef d'œuvre romanesque, récit de la vie de Louis dans une langue sobre, classique et économe — et pourtant inimitable, à la puissance d'évocation inouïe. Au gré des péripéties, des complots du narrateur pour déshériter les siens, l'écrivain explore la galerie de portraits d'une famille bourgeoise ancrée entre Bordeaux et les Landes, des caractères dessinés avec une saisissante acuité psychologique. Et le récit vibre de mille résonances personnelles...

François Mauriac en 1932 (reproduction par Njal d'une photographie extraite de la collection de la famille Mauriac, exposée au Centre François-Mauriac de Malagar à Saint-Maixant, en Gironde).


«Ma jeunesse n'a été qu'un long suicide»
, constate Louis. La vie d'adulte ne lui apporte qu'une solitude accrue ; le malheur, malgré l'ascension sociale de ce «fils de paysan dont la mère avait "porté le foulard"», malgré la réussite professionnelle, en dépit de l'argent — tous ces coffres, ces titres qu'il accumule et cache aux siens, qu'il «aime», qui le «rassurent».
«J'ai mis soixante ans à composer ce vieillard mourant de haine», dit-il. Alors ne subsiste du cœur de Louis et de ses liens avec autrui qu'un nœud de vipères. Cet homme a connu de rares élans d'amour, d'humanité, toujours brimés par sa nature ou un coup du destin ; ou par les autres : entre lâchetés, fuites et mensonges, tous les hommes ont leurs bassesses chez Mauriac.
Au centre, le vieillard fascine par son intelligence et sa lucidité, cette «lucidité affreuse. Cette habileté à se duper soi-même, qui aide à vivre la plupart des hommes, m'a toujours fait défaut. Je n'ai jamais rien éprouvé de vil que je n'en aie d'abord eu connaissance.» D'où cette souffrance d'une vie entière, le doute assaillant Louis et, au-delà de la monstruosité, une humanité bouleversante.

Le Noeud de vipères (1933, Grasset) de François Mauriac (1885-1970). Disponible en Livre de poche (192 pages, 4,50 euros).


*** Plus d'infos
:
  • La notice consacrée à François Mauriac sur Wikipédia, où l'on trouvera de nombreux liens.
  • François Mauriac a reçu le prix Nobel de littérature en 1952, pour «la profonde imprégnation spirituelle et l'intensité artistique avec laquelle ses romans ont pénétré le drame de la vie humaine».
  • Sa notice biographique sur le site de l'Académie française, où il fut triomphalement élu en 1933. Il y est indiqué cependant que «François Mauriac eut à subir les subtiles perfidies dont André Chaumeix émailla son discours de réception. Cet auvergnat, conservateur et hédoniste, goûtait peu en effet la noirceur de l’œuvre mauriacienne : "Vous êtes le grand maître de l’amertume... À vous lire, monsieur, j’ai cru que vous alliez troubler l’harmonieuse image que je garde de votre région... J’ai failli prendre la Gironde pour un fleuve de feu, et la Guyenne pour un nœud de vipères..."»
  • Du même auteur, je vous recommande également la lecture de Thérèse Desqueyroux. Après, vous n'aurez plus besoin de personne pour avoir envie de tout lire de François Mauriac...

dimanche 24 janvier 2010

A Boy and his blob, l'enfance de l'art


Fond d'écran provenant du site officiel du jeu
et inspiré des graphismes du premier monde.

A Boy and his blob démarre lorsqu'un blob tombe du ciel au pied du lit d'un garçonnet. Seul, le petit bonhomme est vulnérable, il ne court pas très vite ni ne saute haut ou loin. Mais avec son mystérieux ami, qu'il nourrit de bonbons multicolores, le gamin part à l'aventure par forêts et planètes, grimpe, roule, vole... et triomphe de tous les défis, de logique ou d'adresse.
Ce titre Wii des américains WayForward se présente donc comme un jeu de plate-forme en 2D, à la façon d'un Mario où il faudrait davantage réfléchir que sauter. Car c'est surtout le blob qui permet au frêle héros d'avancer : en engloutissant telle ou telle sucrerie magique qu'on lui lance, le fidèle compagnon devient l'échelle, le trampoline ou l'enclume nécessaire pour surmonter un obstacle.
Guidé lors des premiers niveaux, le joueur est progressivement amené à ruser pour résoudre, par des combinaisons de pouvoirs, les puzzles soumis par le terrain.
Ces "problèmes" alternent avec des phases plus actives qui requièrent adresse et réflexes. Cela donne un jeu rythmé, où l'on balance entre des pics de sensations presque arcades (notamment dans les niveaux facultatifs à débloquer, bien plus corsés et portés sur l'action) et un gentil remue-méninges. La difficulté, très faible au départ, augmente progressivement, presque imperceptiblement, et atteint un niveau stimulant dans le dernier quart du jeu. Les quêtes optionnelles, motivantes, sauront contenter les joueurs les plus expérimentés.
On n'a pas le temps de s'ennuyer - malgré une légère baisse de régime dans le troisième monde - car la conception des niveaux est inventive. Avec un nombre de "pièces" (monstres, terrain, transformations) réduit, les développeurs de WayForward parviennent à introduire régulièrement des nouveautés ou des subtilités.

Capture d'écran au cours du jeu, dans le premier monde avec un blob-parachute

Ces qualités sont magnifiées par le parti-pris esthétique. Les graphismes sont le point fort du jeu, qui dessinent une ambiance naïve aux couleurs chaudes, entre conte illustré et dessin animé raffiné. De quoi permettre d'oublier une certaine redondance des tableaux, par ailleurs un peu vides et statiques.
Rarissimes et minimalistes, les saynètes narratives parviennent à distiller la poésie, à attendrir. Dommage que la partie sonore soit plus anecdotique, et qu'il subsiste quelques problèmes techniques : le blob qui suit le petit héros a parfois du mal à trouver son chemin, le maniement est un peu rigide... Mais rien d'assez prononcé pour entacher l'émerveillement du joueur.
Car A Boy and his blob, projet modeste, a ce supplément d'âme qui le rend attachant. C'est un jeu Nintendo dans l'esprit, auquel il manque le génie et le degré de finition de ces illustres parents. Mais c'est une création touchante, sans aucun doute amoureusement choyée par ses créateurs.

A Boy and his blob (Wii, 2009), un jeu de puzzles et de plate-forme développé par WayForward Technologies (Etats-Unis) et publié par Majesco Entertainment.

*** Plus d'infos :
  • Le développeur WayForward s'est fait remarquer par des jeux en 2D tels que Mighty Flip Champs ! (plate-forme/réflexion, DSiWare, 2009), le run'n'gun Contra 4 (DS, 2007) ou le méconnu Shantae (plate-forme, Game Boy Color, 2002).
  • Il est compliqué d'acheter A Boy and his blob. Bien qu'annoncé pour le 27 novembre dernier en France sur le site officiel de Nintendo, la version européenne n'a été commercialisée que dans certains pays, dont le Royaume-Uni. C'est sans doute un jeu confidentiel, mais il mérite mieux vu sa qualité et la diversité des joueurs auxquels il s'adresse.
    Pour y jouer, il faut donc l'importer. C'est facile, sûr et bon marché par le biais de la version britannique d'Amazon ou d'un des nombreux discounters d'outre-Manche (Play.com, Zavvi ou Gamestation pour les plus connus).
  • A Boy and his blob version 2009 est la réinterprétation d'un jeu sorti en 1989 sur la Nintendo Nes, A Boy and his blob : trouble on Blobolonia, développé par l'américain David Crane (créateur de Pitfall !) et son équipe d'Absolute Entertainment. Une suite similaire était sortie l'année suivante sur Game Boy, A Boy and his blob : the rescue of princess Blobette. Point commun des créations : le garçon, son blob et leur coopération ; l'idée d'utiliser des bonbons pour transformer son compagnon et triompher de niveaux de puzzles et de plate-forme. Les niveaux diffèrent, et l'opus moderne est plus facile d'accès et moins porté sur l'exploration.
    Selon Yan Fanel dans Pix'n Love #03, le jeu de 1989 a marqué par "son originalité, ses mécanismes très différents et les messages qu'il véhicule" et fut bien reçu par le public et la critique. Mais il souffre d'une difficulté punitive et de problèmes de maniabilité. Pour qui voudrait tenter l'aventure, Trouble on Blobolonia est proposé au téléchargement légal sur la Console virtuelle de la Wii pour 5 euros.
    Sur le jeu originel, voir la critique d'ExstazY, "Quand votre coeur fait blob", sur Nes Pas ?, ainsi qu'un article sur Sydlexia (en anglais). Dans son numéro 3, la revue de rétro-gaming Pix'n Love consacre un dossier au soft et publie un entretien avec son créateur.

mardi 19 janvier 2010

Tetro, ombres et lumières sur la célébrité


Francis Ford Coppola (photo de presse officielle, par Mihai Malamaire)

Toutes les composantes d'un drame familial sont réunies dans Tetro : des protagonistes aux origines troubles, la fascination et la rivalité entre deux frères, entre père et fils ; de nombreuses résonances avec la biographie du réalisateur Francis Ford Coppola...
Pourtant Tetro n'est pas intéressant pour cela. C'est même un coeur de film un peu faiblard : les personnages ne suscitent pas d'empathie, n'émeuvent pas le spectateur. Bien loin du naturel et de la sensibilité du Rusty James qu'elle évoque, la froide première partie déçoit, qui manque de naturel et de subtilité. Même si l'élégance de la réalisation et les acteurs, convaincants à défaut d'être bouleversants, maintiennent un intérêt modéré.
Non, Tetro s'intéresse aux lumières et aux images de la célébrité. L'ouverture : Vincent Gallo regarde un papillon virevolter autour d'une lampe et s'écraser sur le verre de l'ampoule. Le noir et blanc n'est que jeux d'ombres ; Tetro est devenu éclairagiste dans les milieux branchés après avoir renoncé à l'art ; des miroirs parsèment les plans, des écrans lors du finale.
Coppola brode une abracadabrante tragédie sur un canevas familial : c'est une boutade adressée à la critique, un prétexte pour une réflexion désabusée - sans doute largement personnelle - sur la célébrité et certains moteurs de la création. Il y a des plans grandiloquents et épatants, qui fascinent par leur beauté et leurs promesses, repoussent par l'ironie et la distance qu'y introduit le réalisateur - souvent par le contrepoint d'une scène montrant tel ou tel parent/alter ego d'un protagoniste.
Ainsi Tetro prend de l'ampleur, par l'accumulation de récits, de séquences sombres, lumineuses ou en couleur, de formats différents ; de scènes burlesques, dramatiques ou surréalistes... En résulte une oeuvre plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord, inégale et d'un abord difficile mais d'une force indiscutable.

Tetro, de Francis Ford Coppola (2009, Argentine-Espagne-Italie, 2h07)
Avec Vincent Gallo, Alden Ehrenreich, Maribel Verdu...

*** D'autres critiques :

dimanche 17 janvier 2010

Avatar, héraut sans grâce du spectacle en 3D

Il me fallait voir Avatar. Déjà parce que cela me permettait d'aller au cinéma accompagné, pour une fois. Surtout parce que le film de James Cameron était annoncé comme le premier blockbuster en 3D digne d'intérêt, apprécié même des critiques les plus érudits.
Pressés par Hollywood et par Wall Street, les médias prophétisaient depuis des mois que le nouveau film du réalisateur de Titanic (1997) battrait son prédécesseur, record de France et du monde du nombre d'entrées, invaincu à ce jour mais déjà talonné par le dernier-né. Avatar, l'un des films les plus coûteux de l'histoire du cinéma industriel (mais pas réellement le numéro un, selon l'IMDB), ouvrirait l'ère des super-productions en 3D ou précipiterait Hollywood dans une grave crise. La production entrerait dans l'histoire de l'industrie cinématographique - et les oracles aux voix d'or disaient vrai...

Jake Sully (incarné par Sam Worthington) sur Pandora, dans la peau de son avatar Na'vi (photo du film copyright Twentieth Century Fox France)

Le mardi suivant la sortie du film, donc, après avoir réservé ma place sur internet, payé 12,70 euros et rusé avec mes amis pour m'installer sur un fauteuil central dans une salle comble, j'ai vu Avatar - hélas doublé en français, VO et 3D semblant inconciliables en province.
J'ai vu Avatar et je n'ai pas été déçu. D'une certaine façon, j'ai même été emballé. C'est du très grand spectacle, un pur divertissement immersif et prenant, qui touche au conte fantastique. Quand j'irai voir une superproduction, les années bissextiles, je voudrais qu'elle soit au moins aussi ébouriffante qu'Avatar. Mais un peu mieux écrite, plus humaine et plus esthétique, tant qu'à faire.
Le récit, bien que très simple, conserve la force des légendes populaires et parvient à transporter le spectateur. A toucher malgré la nullité des dialogues (heureusement limités), dont pas une réplique n'a été entendue dans toutes les bandes-annonces de tous les blockbusters. Pourtant, en germe au creux d'une péripétie, on effleure des thèmes cruciaux, dont le film refuse de s'emparer, tels les rapports de l'homme aux technologies.
Les personnages aussi restent à l'état d'ébauches archétypiques, inhumains donc. Et d'autant plus qu'Avatar est presque un film d'animation : malgré la surimpression de visages réels aux images de synthèse, les regards évoquent davantage le cartoon que l'intensité d'un film d'acteurs, et les corps grotesques des Na'vis s'expriment par une caricature mille fois mimée.
Pourtant on est happé. Par l'exploration de la planète imaginaire Pandora, surtout - qui est souvent aussi la découverte de la troisième dimension, ici utilisée avec parcimonie et un goût certain. La réussite technique parvient presque à passer pour artistique, jusqu'à subir la vue d'un plan violacé ou d'une créature disgracieuse. Car le film souffre d'une esthétique Polly Pocket moquée par Télérama.

Avatar est donc une aventure galvanisante, une féérie technologique, mais à la manière d'un parc de Walt Disney, valable et amusant une fois tant que l'on supporte la guimauve, trop superficiel pour que l'on s'y attarde et qu'on le préfère à la beauté réelle de la nature et des hommes.

Avatar, de James Cameron (2009, Etats-Unis, 2h41)
Avec Sam Worthington, Zoe Saldana, Sigourney Weaver, Stephen Lang...

*** D'autres critiques :

Le Père Brown, enquêteur humaniste


La Clairvoyance du Père Brown est le premier recueil des nouvelles plus moins policières de Gilbert Keith Chesterton (1874-1936). Je l'ai lu dans l'exhaustive édition Omnibus des enquêtes du bonhomme, que je découvrais ainsi et qui m'ont conquis.

Gilbert Keith Chesterton en 1914
(photographie libre de droits, auteur inconnu)


Evidemment britannique, comme son héros, l'auteur est
"une figure majeure de la littérature anglaise", selon la présentation du rabat de couverture. Il est très connu dans son royaume natal et "fut en 1928 le premier président du Detective Club, association regroupant des auteurs de romans policiers (dont Agatha Christie)".
Mais contrairement à ce que j'imaginais,
Les Enquêtes du Père Brown ont peu en commun avec les démonstrations de logique d'Hercule Poirot, quoiqu'on tienne là deux héros des plus clairvoyants.
Les récits de Chesterton sont courts, et s'éloignent du policier à énigmes. Le Père Brown est prêtre ; il observe, écoute et parfois sermonne de singuliers individus. Plus que le puzzle criminel, ce sont l'intrigue et les histoires personnelles qui importent ici.
Présenter les protagonistes conduirait à déflorer les intrigues ; mais on croise dans ces pages un simple d'esprit honnête jusqu'à l'absurde, des frères rivaux aux caractères semblables ou opposés ; on assiste à une fantaisie anglaise avec Pierrot, Colombine et un bel imprévu ; et le Père Brown mène le lecteur des faubourgs de Londres à une île aux roseaux, ou jusqu'au plus sombre des châteaux écossais - flirtant parfois avec le fantastique.

En installant des atmosphères variées, toujours évocatrices, en distillant les réflexions et commentaires du Père Brown, en déroulant des intrigues captivantes, originales et souvent édifiantes, enfin en donnant vie à des personnages hauts en couleur, humains avant d'être criminels, Chesterton livre un recueil fascinant, écrit dans une langue légère et soignée, qui semble joliment traduite. Et sans même s'en apercevoir, on en vient à méditer gaiement ces récits et caractères.

La Clairvoyance du Père Brown, de Gilbert Keith Chesterton (1911), traduction d'Emile Cammaerts révisée par Anne Guillaume (248 pages).
Lu dans le recueil Les Enquêtes du Père Brown, aux éditions Omnibus (1216 pages, 28 euros).

*** Plus d'infos :
  • "Chesterton, la pesanteur et la grâce", une biographie de l'auteur complète et bien écrite, de François Rivière, sur le site du Figaro.
  • "Le père Brown, détective thomiste", une critique du recueil de nouvelles, de Pierre Assouline, sur son blog La République des livres.
  • Après de rapides recherches, il semble que ces deux sites soient les plus complets dans leur langue respective : "Un nommé Chesterton, le blog des amis de Gilbert Keith Chesterton" et "The American Chesterton Society, Common sense for the world's uncommon nonsense".
  • Les éditions Ombres ont publié le recueil que j'évoque sous le titre L'Innocence du Père Brown dans leur collection de poche (12 euros, 320 pages). Quelques-unes des nouvelles ont été compilées sous une préface de Jorge-Luis Borges, qui l'admirait, dans la luxueuse Bibliothèque de Babel par les défuntes éditions du Panama, sous le titre de l'une d'elles, L'Oeil d'Apollon.
  • Les éditions Gallimard publient dans leur économique collection de poche Folio deux autres recueils de nouvelles, Trois enquêtes du Père Brown (2 euros, 128 pages) et La Sagesse du Père Brown (5,60 euros, 256 pages).