mardi 9 février 2010

Bright Star, beauté glacée


La félicité de Fannie Brawne (Abbie Cornish) à la lecture d'une lettre de son bien-aimé
(photo du film copyright Pathé Distribution / Laurie Sparham)


En 1818 en Angleterre, Fanny Brawne, dix-huit ans, jeune coquette au caractère bien trempé, qui crée les robes exubérantes qu'elle porte, tombe amoureuse de son voisin John Keats, pauvre poète à la santé fragile, un gamin de vingt-trois ans qui s'amuse autant qu'il médite et écrit.
Récit romantique de leurs amours chastes et contrariées, Bright Star est un film en costumes de facture classique, qui parvient toutefois à briller d'un éclat ténu parmi la multitude. Il y a là l'élégance, la beauté et une certaine vérité poétiques. Surtout, la félicité goûtée par les amoureux donne au film ses instants de grâce : ainsi de cette révélation de l'amour à la jeune fille — sur son petit lit, face à la fenêtre ouverte inondée de lumière et dont les grands rideaux flottent au vent du printemps ou de l'été ; une chambre bientôt envahie de papillons... Ou de ces promenades au jardin, dans les bois, bucoliques splendeurs.

John Keats (photo du film copyright Pathé Distribution / Laurie Sparham)

Mais le bonheur romantique est toujours fugace ; et l'Angleterre du dix-neuvième siècle, la vie de John Keats et Fanny Brawne en particulier, n'autorise pas une grâce perpétuelle. Peut-être suis-je en décalage avec l'esprit romantique : le bonheur du couple m'a ravi, ses tourments m'ont tenu à distance.
Car le grand écueil de ces récits d'amours chastes et impossibles, que n'évite pas tout à fait ce film un peu froid, c'est bien que le spectateur s'en trouve trop éloigné ; se sente étranger aux tourments des protagonistes, ennuyé plus qu'exalté par tous ces obstacles à l'expression de leurs sentiments.
Ce mélodrame n'émeut que sporadiquement, autrement se regarde de loin, ; Bright Star, beauté désuète et glacée, occasionnellement lumineuse mais jamais flamboyante.

Bright Star, de Jane Campion (2010, Royaume-Uni, 1h59)
Avec Abbie Cornish, Ben Whishaw...

*** Une autre critique :

dimanche 7 février 2010

Mother, génial hybride


La mère (jamais nommée) est incarnée par Kim Hye-ja, mère-courage vedette
des téléfilms coréens (photo du film copyright Diaphana Films)

Dans Mother, c'est évidemment un personnage de mère qui est au centre. Mais elle regarde ailleurs en permanence, semble ne vivre que pour son fils — Do-joon, simple d'esprit qui à 28 ans dort encore contre son sein.
Le couple fusionnel vit sa routine dans un bourg rural d'une grande quiétude. Mais cette tranquillité de façade est vite troublée par un crime : une lycéenne est retrouvée morte, et tout accuse Do-joon... qui ne se souvient de rien.

Le film de Bong Joon-ho balance entre mélodrame et polar, entre une enquête à suspense, menée par une mère en furie pour innocenter son enfant, et le portrait touchant de protagonistes à la marge de la société. Et pourtant Mother conserve presque tout du long ce calme parfois irréel, zébré d'éclairs de violence, de scènes surréalistes et d'éclats d'humour noir ou burlesque.
Le jour, dans la douceur solaire, le spectateur ne peut soupçonner la nuit, les jours d'orage, les dessous sordides de cette société. L'image d'Epinal est vite ébranlée par la quête violente et désespérée de la mère ; le vernis du tableau idyllique se fissure sous la révélation du vice et de la violence, de l'injustice et de tous les non-dits de cette communauté.

Do-joon (Won Bin), simple d'esprit dépendant de sa mère, lutte contre sa mémoire
(photo du film copyright Diaphana Films)

Il y a du génie dans ce mélodrame grinçant qui s'acoquine avec le policier contemplatif. Le génie de la mise en scène — l'esthétique du film est incroyable, chaque plan raconte mille histoires, fascine. Un vrai don pour faire vivre ces personnages bizarres et denses. Et la réussite éclatante d'une hybridation des genres, qui tient en haleine autant qu'elle touche, effraie, déchire même. Bong Joon-ho se paie jusqu'au luxe de livrer par touches légères une vraie réflexion sur la mémoire...

Mother, de Bong Joon-ho (2010, Corée, 2h10) Avec Kim Hye-ja, Won Bin...

*** Plus d'infos :
  • « Médée matériau », la critique de Mathieu Macheret sur Critikat.
  • « Mother : femme prête à tout pour sauver son fils », la critique de Jean-François Rauger sur le site du Monde.

lundi 1 février 2010

Une Jeune fille à la dérive, mélo naturaliste du Japon d'après-guerre


L'affiche du film pour sa ressortie en salles le 22 juillet 2009
(copyright E.D. Distribution)

Une Jeune fille à la dérive (1963), de Kirio Urayama, raconte les amours contrariées de Saburo, 21 ans, et Wakae, 15 ans. Un jeune adulte et une adolescente — deux êtres à l'âge de tous les (im)possibles.
Lui, fils de bonne famille diplômé, se retrouve au chômage et revient dans sa famille — des notables d'un village de campagne — après une brève expérience de l'indépendance. Il tente d'échapper au modèle de son frère, jeune conseiller municipal conservateur, influent et ambitieux.
Elle aussi tente de fuir : les siens, son père alcoolique, veuf ; la misère. Serveuse et voleuse à la petite semaine, livrée à la convoitise des hommes, elle dérive, sans avenir.
L'un a l'indignation douce, un peu indifférente, l'autre a la révolte incandescente et violente. Ils s'aimantent évidemment, envers et contre tout.

Saburo (Mitsuo Hamada) et Wakae (Masako Izumi)
(image du film, copyright E.D. Distribution)


Kirio Urayama met en scène des «presque adultes» attachants, aux rêves et aux désirs informulés ou impossibles à assouvir. Le couple se cherche en subissant les affres de l'indécision propre à cet âge.
Mais malgré quelques audaces formelles, Une Jeune fille à la dérive est finalement un mélodrame assez classique sur l'air de «je t'aime, moi non plus» — un air entêtant, jusqu'à fatiguer à la longue. Est-ce ce défaut d'audace, ou un certain manque d'intensité — alors que l'héroïne est voulue incandescente, que les personnages sont censés être au bord de la rupture... le film est sympathique, mais trop sage, et pas fiévreux ni bouleversant comme des enfants perdus à cet âge-là.
La toile de fond, par contre, est originale et réussie. Le film se déroule dans le Japon d'après-guerre, période charnière et tourmentée ; les scènes naturalistes, la chronique sociale, bien présentes et revendiquées dans le film, sont fascinantes et instructives. Dure, tendre ou drôle, historique ou sociale, cette peinture de la société d'alors, éclairée par la classique élégance de la photographie, est sans doute le point fort du film.

Une Jeune fille à la dérive, de Kirio Urayama (1963, Japon, 1h56)
Avec Masako Izumi, Mitsuo Hamada...

*** Plus d'infos :